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Nouvelle crise bancaire aux US ?

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Nouvelle crise bancaire aux US ?

“And I’m feelin’ the same way all over again” ? (Norah jones)

Pour ceux qui auraient pris un week-end prolongé, voilà ce que vous avez pu rater de l’incroyable scenario qui a amené la 18ème banque américaine à déposer le bilan. Cela nous rappelle les tristes heures du début de la crise de 2008 qui avait entrainé la faillite de la banque Lehman Brothers et plongé le monde dans une crise financière sans précédent.

Rappel des faits

Ce n’est pas une seule banque qui a fait faillite mais bien deux en l’espace de quelques jours : la Silvergate Capital, puis la Silicon Valley Bank (SIVB).

Silvergate Capital, c’est une histoire de crypto. Au plus haut, près de 12 milliards d’actifs numériques y était déposés (2019). Depuis, le secteur n’en finit plus de reculer. La banque, créée en 1988, a décidé d’elle-même de fermer, estimant que le nouveau contexte réglementaire autour des cryptos et la fameuse faillite de FTX, l’empêchait de poursuivre son activité. Pour le moment, elle semble en mesure de rembourser tous les dépôts après avoir soldé tous ses actifs numériques. Il n’est pas impossible que cette liquidation soit à l’origine de la baisse du Bitcoin de la semaine dernière. On a là le cas type d’une entreprise spécialisée sur une activité ou secteur en difficulté, ici le financement d’entreprises de cryptos. Ce n’est pas la première entreprise qui fait faillite sur les cryptos. So far so good : le bilan de la banque n’est pas énorme et le démantèlement à l’air d’être sous contrôle. Donc pas de panique. Au pire, tant pis pour les spéculateurs.

Avec la Silicon Valley Bank (SIVB), on change radicalement de catégorie. Il s’agit d’une banque réputée avec 200 milliards de bilan, spécialisée dans le financement et l’accompagnement d’entreprise, qui financent des fonds de Private Equity et des start-ups, joyaux de l’économie de demain. Cela ressemble donc un peu à SilverGate dans le sens où la banque finançait un seul type d’entreprises. Rentrons un peu dans le détail pour comprendre ce qui s’est passé. L’actif de la banque est financé par des dépôts à hauteur 170 milliards de dollars et a investi les sommes recueillies majoritairement dans des obligations, essentiellement de l’état américain, considérées comme étant parmi les actifs les plus sûr du monde.

Jusque-là, rien de bien surprenant, toutes les banques, notamment depuis 2008, placent l’argent sur des supports « sans risques », SIVB le faisant un peu plus que les autres cependant. Mais l’inflation est arrivée et les taux se sont mis à monter dramatiquement. Merci la Fed. Or, quand les taux montent, les obligations baissent, entrainant des pertes potentielles gigantesques sur ces investissements en obligations d’état. Tant que la banque n’a pas besoin de vendre, elle peut être tentée de ne rien faire car à la fin, les obligations seront remboursées ! Le problème, c’est qu’avec l’inflation, les startups qui avaient déposé leur argent en ont eu besoin, d’autant plus que les sources de financement sont devenues plus rares. Ou alors, elles ont vu qu’elles pouvaient obtenir du 4% avec des bonds du trésor et ont décidé d’y investir ces liquidités.

A un moment donné, SIVB n’avait plus de cash pour honorer les retraits : il fallait vendre et matérialiser les pertes. La SIVB a surpris les marchés, jeudi dernier, après avoir annoncé une série de mesures visant à améliorer la flexibilité de son bilan et ses ratios de capital. Elle a déclaré avoir vendu pour 21 milliards de titres d’état en encaissant une perte de 1.8 milliard de dollars. Problème : les pertes potentielles sur les actifs restant au bilan absorberaient encore tous les fonds propres de l’entreprise s’ils devaient être vendus. Qu’a cela ne tienne, elle annonçait en même temps une levée de capital de 2.25 milliards dont on sait maintenant qu’elle a échouée.

Comprenant ce qui se passait, les fonds d’investissement, les fameux Private Equity, parmi lesquels le fonds de Peter Thiel, fondateur de Paypal, ont conseillé aux startups dans lesquelles ils sont investis de vite retirer leurs avoirs de la banque. 40 milliards de retraits impossibles à honorer se sont alors présentés : game over.

En résumé, la hausse des taux a tué la banque bien qu’elle ait investi dans des actifs dits « sûrs ». Il n’y a pas eu de fraude mais la banque a été « négligente » dans le sens où elle aurait dû gérer le risque de taux de son portefeuille.

Et maintenant ?

D’abord éteindre le feu. On nous avait dit « jamais plus jamais ». Des fonds publics ne seraient plus utilisés pour « sauver » une banque : la Fed vient de mettre 25 milliards sur la table et garantit tous les dépôts (au-delà des 250 000$ de la réglementation). Les startups sont sauvées (Roku avait 26% de sa trésorerie bloquée chez SIVB). Pas sûr que ce soit suffisant car tout le monde va s’interroger sur les autres banques. On le sait, le système bancaire ne repose que sur l’assurance de sa solidité et sur la confiance mutuelle entre les acteurs. Gageons que personne ne refera les erreurs de 2008 (par pitié !). Les autorités vont tout faire pour tuer dans l’œuf toute contagion. On peut donc s’attendre à d’autres mesures spectaculaires dans les jours qui viennent. Il n’y aura pas de contagion. On va avoir des bruits et des rumeurs, des interventions rapides si nécessaires. On n’est pas en 2008.

Le problème, c’est que des pertes latentes non matérialisées, il y en a dans toutes les banques. Pour la Bank of America par exemple, elles représentent aujourd’hui 40% des fonds propres ! La Fed va devoir prendre en compte ce fait et très probablement mettre en suspend les hausses de taux. Les régulateurs ont clairement une part de responsabilité et il faudra rendre des comptes. Ces banques sont sous leur contrôle. Comment se fait-il qu’ils n’aient rien anticipé ?

Et chez nous ?

Et fait, c’est la même chose. Les rendements des obligations européennes ont beaucoup monté ces derniers mois et il est certain que des banques sont gavées d’obligations. Le secteur bancaire italien est à surveiller particulièrement. Enfin, chez nos voisins suisses, le Crédit Suisse est au bord du gouffre. En France, on s’est préparé en modifiant les règles des fonds Euros qui ne sont plus garantis. En effet, ils sont massivement investis dans des obligations. Si les épargnants sortaient massivement des contrats pour investir dans des produits sans risque plus rémunérateurs, pas sûr que tous les assureurs le supporteraient.

Bienvenue au Japon !

Les banques centrales doivent faire face au dilemme japonais : la banque centrale du Japon ne peut monter les taux pour lutter contre l’inflation sous peine de mettre à genou les banques et les assureurs de l’Archipel. Le coût politique est trop important quand on sait que la dette du pays est détenue presque exclusivement par les investisseurs et épargnants domestiques.

Philippe de Gouville
CEO et co-fondateur d’Ismo

Philippe vous propose chaque semaine son analyse de l’actualité des marchés financiers sur le blog Ismo. Retrouvez ses précédentes analyses dans la catégorie Actualités du blog.