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La plus grosse faillite de l’histoire de la crypto

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L’ascension fulgurante de Sam Bankman-Fried (SBF)

C’est l’histoire d’un trader quantitatif qui découvre un arbitrage comme on en trouve un par génération. Il est alors trader pour la société Jane Street Capital. Il s’intéresse au Bitcoin. Il constate en 2017 qu’il y a des écarts de cours très importants selon la place de cotation à travers le monde. Il se dit alors qu’il peut engranger des gains quasi certains en achetant sur une place où le prix du Bitcoin est bas pour le revendre sur une plateforme où le prix est élevé. En général de tels ‘arbitrages’ sont très rares sur les marchés et surtout très éphémères. On trouve, chez beaucoup de hedge funds, des algorithmes qui cherchent en permanence à profiter de ce type d’écarts. Mais plus il y a de participants, plus les parts du gâteau sont réduites.

C’est ainsi qu’est né le ‘Kimchi Swap’. Son nom vient du fait que c’est en Corée du Sud que le Bitcoin affichait des prix plus élevés. Les Coréens adeptes de la techno se ruaient sur la crypto devise. Après avoir fait quelques tests, SBF décide de monter sa propre société de trading, Almeda, pour mettre en place cette stratégie en théorie très simple. En fait la difficulté était surtout technologique. Il y a 5 ans, il était beaucoup plus difficile de se connecter à plusieurs plateformes et d’exécuter des ordres simultanés. Almeda a réussi à monter une infrastructure originale pour gérer l’ensemble des opérations et l’argent a commencé à affluer dans ses caisses.

A partir de là, SBF a pu construire son empire. La réussite d’Almeda a engendré celle de la plateforme de trading FTX lancée en 2019. Le succès fut tel que rapidement la fortune de SBF atteignait 16 milliards en mars dernier.

À à peine 30 ans, SBF est alors devenu une techno star que tout le monde s’arrache. Les fonds d’investissement se bousculent pour tout financer de peur de rater la nouvelle success story, le Warren Buffet de la DeFi (Decentralized Finance)*.

L’effondrement et la déchéance

Mais finalement l’empire était fait de papier et à la première étincelle tout a brulé.

Cours du Bitcoin, source www.CoinMarketCap.com

Après avoir atteint un plus haut fin 2021, le Bitcoin et les autres cryptos, se sont effondrés. De nombreux projets ont disparu comme le fameux stablecoin TerraLuna qui a implosé cet été. 60 milliards sont partis en fumée entrainant la faillite de Three Arrows Capital et 3AC, deux crypto hedge funds réputés, de Celsius et Voyager Digital, 2 acteurs importants de la DeFi. Durant cette période, celui qu’on appelle maintenant ‘Sam Bankman-Fraud’, a toujours affirmé que son activité n’était pas impactée par la tempête que traversait le monde des cryptos. Il en était en fait tout autrement. Almeda, la société à la tête de laquelle il avait mis son ancienne petite amie, perdait énormément d’argent à cause d’investissements risqués dans la DeFi. Almeda empruntait de l’argent pour investir dans les sociétés en difficultés. Rapidement, Almeda a dû faire face aux appels de marges et aux demandes de remboursement de ces prêts. Aculé, sans liquidité, SBF décide alors de siphonner les dépôts de ses clients de la plateforme FTX à hauteur de 10 milliards en mettant en collatéral des tokens émis par la plateforme elle-même, que détenait essentiellement SBF : des tokens dont il manipulait le cours et qui en fait ne valaient pas grand-chose.

Comme dans un film de série B, son ennemi de toujours, le patron de Binance, a eu vent de la supercherie. Il décide alors de la mettre au grand jour en vendant tous les token (FTT) qu’il possédait dans FTX. C’est le début de la panique. Du jour au lendemain SBF perd tout et laisse un trou de plusieurs milliards dans les comptes des utilisateurs de FTX. Il s’agit de la plus grande fraude depuis Enron et Madoff. C’est sûr, SBF finira en prison tant il a commis de crimes mais tous ceux qui avaient des cryptos sur FTX ne reverrons probablement rien. Voyant son empire s’effondrer, SBF tente une dernière fois de trouver des fonds pour se sauver et tente même dans un dernier geste désespéré de revendre FTX à Binance. Mais SBF est devenu toxique. C’est fini. C’est la faillite.

Cours du FTX token (FTT) source www.CoinMarketCap.com

FTX était judicieusement basée au Bahamas pour favoriser l’opacité des opérations. Il semble que le top management n’ait pas seulement utilisé l’argent des comptes de FTX pour renflouer Almeda mais aussi pour s’acheter des villas luxueuses sur l’île. Les échanges entre SBF et ses acolytes se faisaient opinément via des messageries éphémères ne laissant aucune trace des messages. Enfin, pour couronner le tout, SBF avait construit une ‘back-door’ pour pouvoir mouvementer les comptes de FTX selon son bon vouloir. Il semble que quelqu’un en a profité il y a quelques jours pour hacker 750M de $ de plus. Incroyable.

SBF a été remplacé par M. Johon Ray III, ancien liquidateur d’Enron. Ses observations sont édifiantes : « Je n’ai jamais vu quelque chose comme cela. Dans ma carrière je n’ai jamais vu un échec aussi complet des contrôles de l’entreprise et une absence aussi complète d’informations fiables comme cela s’est produit ici. »
Sa tâche s’annonce donc difficile. Il ajoute que « de l’intégrité des systèmes compromis et de la surveillance réglementaire défectueuse à l’étranger, à la concentration du contrôle entre les mains d’un très petit groupe de personnes inexpérimentées, peu sophistiquées et potentiellement compromises, cette situation est sans précédent ». On ne sait même pas quels sont les actifs de l’entreprise ni quelle est sa trésorerie.

Finalement on est là dans un scenario assez classique de faillite financière quand on a trop de risques, trop de leviers. On a tous en mémoire les faillites de LTCM, Lehman Brothers ou Bear Stearns. S’ajoute à cela le fait que SBF était à la tête des deux entreprises, avec un conflit d’intérêt majeur, chose impossible dans le monde régulé ou les activités de trading pour compte propre sont séparées des activités de gestion pour compte de tiers.

Et maintenant ?

Le monde de la DeFi va connaitre un long hiver. Par un effet domino, d’autres participants vont bientôt disparaître. Première victime : Masa-Son le fondateur de SoftBank, le méga-fonds d’investissement dans la tech, va partir. Le fonds perd 100M sur son exposition à FTX. C’est la goutte qui fait déborder le vase après tout une série d’investissements catastrophiques. Genesis trading est dans la tourmente. Et l’effet domino se poursuit avec les difficultés de Gemini Trust.

Ce qui est décevant, c’est qu’après 15 ans d’existence de la blockchain, peu de promesses ont été tenues. Pourtant la crypto a attiré des personnes brillantes, des capitaux de VCs et de fonds de pensions. Beaucoup de talents, d’énergie et d’argent pour finalement avoir juste construit un gigantesque casino virtuel ou le blanchiment d’argent et les escrocs sont monnaie courante. La perte de confiance est à son comble. Certains se demandent même si cela vaut encore le coup de sauver les cryptos. FTX est le dernier d’une longue liste de projets valorisés plusieurs milliards de dollars à exploser de manière spectaculaire. Si d’autres scandales devaient survenir, la blockchain pourraient bien ne pas s’en remettre. La promesse d’innovation n’a aucun sens si les clients et les investisseurs craignent de voir leur argent s’évaporer. Il est temps que la blockchain trouve enfin une vraie utilité.

*un système financier alternatif fondé sur les technologies blockchains et les cryptomonnaies.

Philippe de Gouville
CEO et co-fondateur d’Ismo

Philippe vous propose chaque semaine son analyse de l’actualité des marchés financiers sur le blog Ismo. Retrouvez ses précédentes analyses dans la catégorie Actualités du blog.

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