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Le Zoom des marchés – Décembre 2023

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LE ZOOM DES MARCHÉS

En novembre, on oublie tout

Le mois de novembre a été celui du rebond. La plupart des classes d’actifs ont rebondi grâce aux changements d’anticipation sur les taux. Le président de la Fed a lâché du lest. À travers ses derniers propos, les investisseurs ont compris que la hausse des taux était probablement terminée. Compte tenu de l’érosion continuelle des données macroéconomiques, beaucoup imaginent déjà des baisses agressives des taux en 2024 et un « soft landing » de l’économie.

Le mois de novembre restera mémorable surtout pour les marchés obligataires. Toutes ces informations ont précipité les investisseurs sur les obligations pour profiter des rendements encore attractifs. Ainsi l’indice phare des obligations américaines, le Bloomberg US Bonds Aggregate, a connu son meilleur mois depuis 1985 ! Partout c’est la même chose ou presque, l’indice Bloomberg Global Bond Aggregate progresse de plus de 5%, soit la meilleure performance depuis la grande crise financière de 2008.

En septembre, alors que les taux étaient au plus haut, j’avais conseillé sur notre profil X (Twitter) de profiter des niveaux pour revenir progressivement sur les obligations. Et début novembre, je proposais de s’exposer à nouveau sur les obligations des pays émergents (cf. les obligations des pays émergents stars de 2024 ?). Le « carry » des obligations permettait alors d’encaisser une dernière vague de hausse des taux. Avec le mouvement de novembre, les obligations sont largement repassées dans le vert en 2023.

Les actions ne sont pas en reste, le MSCI World progresse de 9,4%, soit la deuxième meilleure performance pour un mois de novembre depuis 1980. C’est aussi le meilleur mois de 2023 après 3 mois consécutifs de baisse. On notera la faible performance des marchés chinois qui n’arrivent pas se remettre. L’immobilier et le ralentissement de la croissance plombent l’ambiance.

La contrepartie de la fin de la hausse des taux, c’est la baisse du dollar. Moins de taux, c’est moins de rendement. Cette baisse vient pondérer la performance des marchés en euros. Le pétrole et les matières premières (hors métaux précieux) sont globalement en baisse. Le pétrole subit le désaccord entre les membres de l’OPEP+ pour réduire encore une fois la production alors que la production américaine bat des records et que les perspectives économiques devraient freiner la demande.

 Performance des principales classes d’actifs en novembre 2023

Source : Refinitiv

Tout va bien alors ?

Eh bien non, pas totalement, pas encore. Rappelons que jouer avec les taux, c’est jouer avec une allumette dans un dépôt de poudre. Historiquement, chaque période avec des hausses de taux significatives a irrémédiablement conduit à la récession, souvent prononcée. Depuis plusieurs moins les chiffres de prévision économique anticipent une récession qui n’est pas venue. Mais les indicateurs se dégradent un peu partout. Les PMI soulignent encore et toujours une contraction de l’activité. Le taux de faillite progresse. L’immobilier est dans la tourmente et le consommateur exsangue.

Je conseille à chacun de bien suivre les chiffres du chômage. C’est un des derniers remparts qui tient encore. Or, on observe quelques craquements : le chômage monte en Allemagne et aux US depuis l’été. Certes les niveaux restent historiquement bas mais toute accélération de ce côté nous entrainerait assurément dans une spirale récessionniste.

Aujourd’hui les investisseurs font preuve d’un peu de complaisance. En effet, le scenario « idéal » est privilégié : les banques centrales ont toujours leur mojo et vont faire atterrir en douceur l’économie en desserrant l’étau monétaire sans rebond de l’inflation. Tout le monde le souhaite mais les investisseurs devraient tout de même s’inquiéter soit d’un retour de l’inflation, soit d’un crash de l’économie.

Cette complaisance se voit partout, dans le Vix proche du plus bas historique, dans les spreads de crédit, dans la valorisation des actions …

La volatilité, principale mesure de l’aversion au risque des investisseurs sur les actions est proche des plus bas. J’ai déjà expliqué que des facteurs techniques le poussaient vers le bas. Mais compte tenu des incertitudes tant économiques que géopolitiques, ce niveau parait surprenant. Traditionnellement, le Vix est déprimé en fin d’année à cause de la trêve des confiseurs mais gageons qu’il rebondira début 2024. Il ne faudra pas beaucoup pour qu’il reparte violemment à la hausse.

Evolutions du VIX depuis 1998

Source : Refinitiv

Les spreads de crédit sont plutôt compressés à cause de la chasse permanente au rendement et au faible volume d’émission obligataire sur ce segment en 2023. Mais en 2024 les choses vont changer. D’abord le taux des faillites va progresser (c’est déjà parti) et le volume des émissions va exploser. 12% de la dette High Yield US devra être refinancée dans les 2 ans. C’est pire en Europe où 23% devra être refinancée. C’est le plus important volume de refinancement depuis la grande crise financière de 2008. On peut parler du « mur de la dette ». Ça risque donc d’être un des thèmes importants de 2024. Sur ces niveaux, il faut être prudent et sélectif surtout si les taux restent élevés.

Indice des spreads de crédit en euro

Source : Refinitiv

Je reste convaincu que les banques centrales sont réticentes à toute baisse des taux. L’inflation n’est pas encore revenue à 2%. Les banques centrales ne prendront aucun risque avec l’inflation. La voir repartir «comme en 14» après une baisse des taux n’est pas une option. Je dirais même, que pour que la BCE ou la Fed se mette à baisser les taux, il faudrait que la situation soit grave, très grave. Donc ce n’est pas à souhaiter.

Les investisseurs anticipent pourtant un nombre important de baisses de taux. Dans l’histoire, de telles baissent sont toujours survenues lors d’une récession. Si le marché de taux à raison, le niveau des actions et des spreads de crédit ne sont pas là où ils devraient être. Quelque chose doit s’ajuster, soit les taux, soit le reste.

Le Trésor américain rencontre des difficultés pour placer ses émissions de dette

C’est une alerte sans frais. L’adjudication de T-Bonds 30 ans s’est très mal passée. En effet, les « primary dealers » (les grandes banques) qui achètent les titres non absorbés par les investisseurs ont dû accepter près de 25% des titres proposés, soit plus du double de la moyenne habituelle. Cette émission laborieuse du 09 novembre n’est pas passée inaperçue. Elle a même secoué les marchés actions, mettant fin à 8 séances de hausse de suite sur le S&P500. Certains ont mis ça sur le compte de ICBC, la grand banque chinoise, qui n’a pu passer ses ordres à cause d’un ransomware.

Mais l’adjudication de 7 ans, la dernière du mois de novembre, ne s’est pas très bien passée non plus. Là encore les « primary dealers » ont dû ramasser une part importante des montants émis.

Or le Trésor doit refinancer au moins 6 000 milliards de dette dans les 12 prochains mois. Si la baisse de la demande devait se confirmer alors que le déficit américain explose (1 700 milliards de dollars en 2023), la nervosité pourrait monter en flèche, les rendements à long terme repartir à la hausse, mais surtout la pression serait très forte sur le dollar. Sans compter l’impact que cela pourrait avoir sur le refinancement de la dette de certain pays européens par effet de « spillover ». Vigilance donc.

LE RETOUR EN FORCE DES CRYPTOS ET DE L’OR

Le mois de novembre a aussi été le mois de l’or et des cryptos. Analysons-en les raisons :

L’or

L’or est traditionnellement une valeur de refuge contre l’inflation et la perte de valeur de la monnaie. Il est aussi recherché en cas de forte récession pour sa stabilité. En octobre je m’interrogeais sur la baisse de l’or, provoquée par la vente des ETFs or par le retail. L’or était alors pénalisé par les anticipations de voir les taux américains rester hauts longtemps. En effet, l’or ne rapporte rien. Il ne verse pas de rendement. Difficile de lutter contre du 5% versé par le dollar… Tant que celui-ci ne baisse pas.

Ce qui me paraissait étrange était de voir l’or baisser alors que le mouvement de «dédollarisation» des échanges commerciaux s’accélérait. Les banques centrales des pays en voie de développement cherchent à désensibiliser leurs réserves au dollar. Ces pays n’en peuvent plus de voir l’Amérique exporter sa politique monétaire en jouant avec sa devise. De plus, certains pays sont en conflits ouverts ou larvés avec les US. En cas d’escalade, ils ne veulent pas subir le blocage de leurs avoirs comme cela se passe actuellement pour la Russie. Les banques centrales de ces pays accumulent donc des réserves d’or plutôt que de la dette américaine. Les Brics pourraient même à terme se créer une nouvelle monnaie d’échange garantie par des réserves d’or (du Bretton Woods à l’envers en somme).

Depuis ce repli d’octobre, l’or s’est donc envolé pour atteindre un plus haut historique de 2 070$ l’once. Quand on voit les problèmes rencontrés par le Trésor US pour placer ses dernières adjudications de dettes, on peut anticiper que ce mouvement va durer. En effet, le placement du 7 ans et du 30 ans ont été les pires depuis très très longtemps. Si les US continuent à rencontrer des difficultés pour placer leur dette, le dollar pourrait en subir les conséquences et l’or en profiter.

Prix de l’once d’or/$

Source : Refinitiv

Le bitcoin

On l’appelle maintenant l’or numérique. Il ressemble de plus en plus à un instrument de refuge de la valeur, à l’instar de l’or. La preuve en est qu’il y a peu de rotation du bitcoin : ceux qui en détiennent les gardent. Depuis son lancement, le bitcoin a été présenté comme l’instrument ultime pour se protéger de l’inflation. En effet, le nombre de bitcoin est fini. Impossible d’en imprimer, de faire marcher une planche à bitcoin !

Quand on observe le mouvement de ces dernières années, on peut avoir des doutes. Le bitcoin d’avant était avant tout un objet de spéculation effréné voir de blanchiment d’argent. Cette période de folie et d’exubérance est terminée ! Aujourd’hui, de plus en plus d’investisseurs reconnaissent les propriétés du bitcoin permettant de se protéger contre la dévaluation ou la manipulation des monnaies.

Le bitcoin profite aussi de deux facteurs conjoncturels : l’arrivée d’ETF Bitcoin physique aux US et le « halving ». 2024 sera l’année de l’adoption des cryptos par les institutionnels.

L’arrivée prochaine des ETFs crypto

La SEC n’a pas encore validé d’ETF physique, mais compte tenu de pression des émetteurs, ce n’est qu’une question de temps. Elle tente de freiner des quatre fers car les cryptos seraient une menace à terme pour les devises FIAT sous contrôles des états si leur adoption se généralisait. Ces derniers feront tout pour garder le contrôle de la monnaie. D’où les projets de CBDC (Central Bank Digital Currency) poussés par les banques centrales, dont elles auront le contrôle total. Pour en revenir aux ETFs, ils vont permettre à tous les gérants de fonds et autres gestionnaires de patrimoine de mettre facilement un peu de cryptos dans leurs allocations. Utiliser un ETF régulé de BlackRock ou de StateStreet est beaucoup plus facile et sécurisé que d’ouvrir des wallets, de gérer les clés ou d’acheter des cryptos chez Binance. En gros, les ETF vont définitivement démocratiser les cryptos et donner accès à une multitude d’investisseurs qui aujourd’hui sont réticents. Le mouvement est en marche. Ce n’est pas pour rien que les plus gros dépositaires postulent pour être PSAN (CACEIS, Deutsche Bank, …), donc dépositaires de cryptoactifs même si cela peut paraitre en contradiction avec le caractère décentralisé de la blockchain.

Explosion du Bitcoin

Source : Refinitiv

Le « halving »

C’est un événement qui arrive tous les 210 000 blocs validés sur la blockchain Bitcoin, donc environ tous les 4 ans. Selon les experts, le prochain devrait survenir au printemps 2024. Lors d’un « halving », la récompense en Bitcoin décernée lors du minage (validation des blocs) est divisée par 2. L’objectif de cette réduction est de maintenir l’inflation sous contrôle en réduisant la quantité de BTC qui sont créés au fil du temps. Cet évènement a aussi un impact sur le cours de la crypto car il réduit l’offre de nouveaux bitcoin disponibles sur le marché. En effet, 2 fois moins de bitcoin arrivent sur le marché toutes les 10 minutes (temps de validation moyen d’un bloc) :

  • La récompense pour le mining est divisée par 2 >
  • L’inflation du Bitcoin est réduite de moitié >
  • La nouvelle offre disponible est réduite >
  • La demande de BTC croit >
  • Le cours du BTC augmente >
  • Les mineurs sont compensés de la perte de récompense par la hausse du cours.

Historiquement, le « halving » a toujours conduit à une forte hausse du bitcoin. Là, l’offre va baisser alors que la demande des institutionnels va exploser … Cela explique la hausse de plus de 100% en un an.

LE RISQUE DE LA NON-DIVERSIFICATION : LE CAS DES « MAGNIFICIENT SEVEN »


Les indices boursiers sont de plus en plus déséquilibrés. La pondération entre les valeurs dépend dans la plupart des cas de la capitalisation. Ainsi, les 7 plus grandes valeurs du Nasdaq 100, les « Magnificent Seven » « pèsent » 50% du Nasdaq 100 et 30% du S&P500. Il s’agit d’Alphabet (la maison mère de Google), Apple, Amazon, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla.

Dans le même ordre d’idée la capitalisation des 10 plus grosses valeurs américaines pèse autant que l‘ensemble des valeurs canadiennes, françaises, chinoises, anglaises et japonaises combinées !

Les indices globaux sont donc de moins en moins diversifiés et exposent les investisseurs à un risque accru de sous performance de ces valeurs. Cette année, ce n’est pas le cas tant leur performance a dépassé celle des autres. Un panier composé de ces 7 valeurs a presque doublé en 2023. Donc toute stratégie qui ne les incluait pas toutes a sous-performé. C’est notamment le cas des indices ISR qui excluent certaines de ces valeurs en raison des fortes controverses qui les entourent (Meta ou Amazon par exemple).

Mais une telle concentration n’est pas saine et doit faire lever le sourcil de tous les gérants chevronnés. En général, même si le débat reste ouvert, lorsque le marché s’est concentré sur une poignée de titres comme c’est le cas actuellement, les investisseurs ont tiré leur épingle du jeu en se détournant de ces titres, en prenant tout ou partie de leurs profits. La tendance pourrait enfin tourner en faveur de stratégies différentes comme le sont les stratégies ISR.

LE COIN ESG

Le mois de novembre 2023 est déjà le plus chaud de 2023. Les derniers mois ont tous établi un record. 2023 sera aussi l’année la plus chaude de l’histoire. Pas très étonnant quand on regarde les émissions de CO2 qui elles aussi sont au plus haut de l’histoire. Incroyable qu’il y ait encore des climato-sceptiques.

La COP28 sera-t-elle comme les 27 précédentes, globalement inutile ? Le fait qu’elle soit organisée aux Emirats, chez le 7ème producteur de pétrole au monde (ADNOC) et qu’elle soit présidée par le président de la compagnie pétrolière nationale émirati donne l’impression d’un vaste foutage de gueule.

Cette COP est déjà rebaptisée « COP des fossiles » tant les énergies fossiles seront au cœur des négociations. En effet, une partie souhaite sortir des énergies fossiles (Europe) et l’autre partie souhaite en « réduire » l’utilisation (US, Chine, Inde, …). Un débat de sémantique donc. On en est encore là alors qu’on peut déjà oublier l’objectif de 1.5°C de réchauffement de la planète et même probablement celui de 2°C.

La COP s’est ouverte avec une première décision consistant à tripler la production d’énergie nucléaire. Pas étonnant de voir que le prix de l’uranium s’envole. L’après Fukushima est bien terminé.

Envolée des prix de l’uranium

Source : Numerco.com

On le sait 50% des émissions mondiales sont liés à la combustion des énergies fossiles pour produire de l’énergie. Et l’essor du renouvelable n’y change rien. La production mondiale de combustibles fossiles continue de croitre pour répondre à une demande mondiale en énergie qui augmente chaque jour. J’en veux pour preuve que les US, premier producteur mondial, n’a jamais autant extrait de pétrole de son sol.

Le président de la COP estime que les énergies renouvelables ne résoudront pas le problème et qu’il est illusoire de vouloir sortir des énergies fossiles. Il prêche pour sa paroisse mais la tendance lui donne clairement raison. Il propose de travailler plutôt sur la capture du CO2 et son enfouissement. Petit problème, je crois qu’il n’y a pas à ce jour de technologie fiable et économiquement viable.

La COP28, fort de ses 70 000 participants, parmi lesquels manquent encore une fois le président américain et le président chinois, soit les 2 plus gros pollueurs de la planète, et fort de ses 2 500 lobbyistes des entreprises liées aux énergies fossiles (un record), sera encore un flop tant il semble ne pas y avoir de solution économiquement viable pour réduire les émissions.

Philippe de Gouville
CEO et co-fondateur d’Ismo

Philippe vous propose chaque semaine son analyse de l’actualité des marchés financiers sur le blog Ismo. Retrouvez ses précédentes analyses dans la catégorie Actualités du blog.