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La Tribune, 29/10/2020 : une prise de parole d’Éric le Brusq, co-fondateur d’Ismo.

OPINION. Aversion au risque, méconnaissance de la finance, une majorité de Français n’ose pas investir en Bourse. Une des raisons du creusement continu des inégalités de patrimoine. De la pédagogie et un accès plus simple aux produits financiers pourraient changer la donne.

Les riches toujours plus riches, les pauvres toujours plus pauvres. Une phrase scandée à chaque étape de la crise sanitaire et économique que nous traversons depuis le mois de mars dernier, le 17 précisément, date du confinement qui a marqué l’entrée en hibernation de l’économie française. Les inégalités de patrimoine ont toujours existé, et, généralement, elles se creusent pendant les crises. C’est le cas encore une fois. Au premier septembre 2020, l’épargne financière des Français, patrimoine net des dettes, s’élevait à 85,6 milliards d’euros selon le calcul de la Banque de France dans sa note mensuelle sur la situation financière des ménages.

Des inégalités de patrimoine dues à la diversification… ou non

Mais, selon le Conseil d’Analyse Économique rattaché à Matignon, dans une étude publiée mi-octobre 2020, les 10% des Français les plus riches sont à l’origine de la moitié des sommes épargnées depuis le confinement. Le constat est le même sur une tendance longue. Selon l’enquête de référence de l’Insee dédiée au patrimoine des Français, publiée en 2018, les 10% des ménages les mieux dotés en patrimoine brut « disposent d’au moins 607.700 euros d’actifs » tandis que les 10 % les plus modestes « possèdent au maximum 3.800 euros chacun, soit 160 fois moins ». Et, toujours selon l’Insee, entre 1998 et 2015, le patrimoine financier des Français a augmenté de 75% en moyenne. Mais celui des 10% des ménages les moins dotés a reculé de 31% et celui des Français situés entre le 1er et deuxième décile, de 15%. À l’inverse, il a doublé pour les 10% les mieux dotés.

En dehors de toute considération sociale, la raison de ces inégalités croissantes est aisément identifiable. Les petits patrimoines sont peu ou pas du tout diversifiés, ils sont positionnés essentiellement sur des dépôts en compte courant ou sur des livrets réglementés, quand les patrimoines les plus fournis sont diversifiés : immobilier, produits financiers, actifs professionnels comme des terres, des machines, des entrepôts… Avec la hausse récurrente du prix de l’immobilier, et la valorisation croissante des actifs boursiers, les gros patrimoines se sont gonflés naturellement, quand, au contraire, le rendement des bas de laine placés en épargne réglementée diminue mécaniquement depuis plusieurs années. Le taux d’inflation, même plus bas que voulu par les banques centrales (1,1% en 2019, contre 2% visés), érode le montant des dépôts sur un livret A rémunéré à 0,5%.

Les Français n’osent pas investir en Bourse pour muscler leur épargne

Mais comment expliquer cette France « coupée en deux » dans le domaine de l’épargne ? Une première explication est d’ordre structurelle, voire culturelle. Bénéficiaires d’un système de retraite par répartition, depuis 1945, les Français n’ont pas vocation à investir pour leurs vieux jours. Ils cotisent chaque mois, ce qui ne crée pas les conditions de l’émergence d’une culture de la Bourse et des produits financiers, comme chez les Américains, tournés vers un système de retraite par capitalisation. La seconde explication est l’aversion au risque des Français, d’où les montants de collecte records sur les produits à capital garanti comme le livret A. Enfin, dernière explication et non des moindres, la méconnaissance des Français des arcanes de la finance et des marchés boursiers. Une méconnaissance qui se traduit par de la méfiance et, in fine, un détournement des Français, les moins aisés souvent, de produits financiers pouvant doper leur épargne. Ainsi, selon la troisième édition du sondage Audirep pour la Banque de France sur les connaissances financières des Français publiée durant l’été dernier, seulement 60% d’entre nous donnons une réponse correcte sur le calcul des intérêts produits sur un compte d’épargne. Et seuls 30% connaissent le rendement du Livret A. Au final, seuls 20% des Français estiment avoir une bonne ou très bonne culture en matière financière.

De la pédagogie pour amener plus de Français vers la Bourse

Sans vouloir absolument corriger ces inégalités de patrimoine, permettre à ceux qui peuvent épargner de muscler leur épargne pour réaliser leurs projets, est avant tout une question de pédagogie. L’aversion au risque des Français n’est pas une fatalité. Sur le long terme, un investissement en actions est profitable. À condition de diversifier son investissement selon le principe de bon sens de « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ». « Depuis sa création fin 1987, le CAC 40 a offert, krachs inclus, un rendement moyen de 5% par an », rappelle Aldo Sicurani, de la Fédération des investisseurs individuels et des clubs d’investissement (F2iC). « En tenant compte des dividendes nets d’impôt versés aux actionnaires… le rendement s’établit à près de 8,5 % ! »

Bien consciente de ce problème de manque de culture financière des Français, la Banque de France a mis en place, en 2016, un comité stratégique dédié à l’éducation financière. Fin novembre 2019, Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances déclarait : « Les grands sujets économiques, les placements financiers, les questions de taux d’intérêt, d’inflation ne font pas partie de notre culture commune. L’objectif (..) c’est de faire en sorte que cette éducation financière fasse partie du patrimoine des Français ». Depuis cet automne, la Banque de France, l’AMF et l’APCR se sont associées pour proposer un cycle de conférences dans le cadre des rendez-vous de l’épargne, programme annoncé par Bruno Le Maire en novembre 2019. Ce programme comprend également des « points conseils » dans chaque local de la Banque de France au sujet de l’épargne.

Aussi louable que soit l’activisme de la Banque de France, il faut absolument que tous les acteurs, banques, assureurs, fassent acte de pédagogie pour montrer aux Français que la finance n’est pas une boîte noire inaccessible pour eux. Accessibilité, facilité d’usage, les fintech ont également un rôle à jouer en faisant de la pédagogie, un élément constitutif de leur ADN. Et pour peu que l’on respecte quelques règles simples comme avoir un horizon d’investissement sur le long terme, diversifier ses actifs… la bourse et les produits financiers peuvent constituer un bon accélérateur de l’épargne pour tous les Français. Et pas seulement pour les plus riches, les plus avertis ou… les plus intrépides.

Retrouvez cette prise de parole d’Eric Le Brusq, parue dans La Tribune le 29/10/2020