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Billet d’humeur de Philippe – Le trading haute fréquence, fin de partie en vue ?

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Le saviez-vous ? Vos ordres sur les marchés rapportent, à vos dépens, des milliards à des sociétés qui reçoivent vos ordres pour être exécutés sur les marchés. Voilà comment cela se passe :

En vertu des règles actuelles (Mifid), les courtiers doivent faire preuve d’une « diligence raisonnable » pour déterminer le meilleur marché probable pour l’exécution d’une transaction. C’est ce qu’on appelle la « best execution ». Ismo, avant de passer les ordres pour les fonds, vérifie et valide la politique de « best execution » de ses brokers.

Les ordres des particuliers, vos ordres passés via une application ou un site internet pour acheter ou vendre des titres, sont eux acheminés vers de grandes sociétés de négociation électronique, qu’on peut comparer à des grossistes, au lieu d’être directement placés sur les bourses comme Euronext ou le London Stock Exchange par exemple. L’idée est que ces grossistes seraient en mesure de proposer de meilleurs prix. Ces grossistes paient pour capter ces ordres car ils affirment pouvoir en extraire de la valeur pour eux tout en assurant le meilleur prix pour le particulier.

En réalité, il n’en est rien. C’est un mensonge. Les ordres de marchés, qui ne spécifient pas de maximum ou de minimum, sont les proies idéales de ces sociétés. Ils utilisent d’innombrables algorithmes qui vont essayer de générer des centimes sur vos ordres en utilisant des techniques qui s’apparentent au « front running »*. Les banques s’y sont mises aussi avec l’idée de compenser les ordres d’achats et de ventes qu’elles reçoivent dans des internalisateurs ou dark pool non régulés plutôt que d’envoyer les ordres sur les marchés. Ces dernières années, plusieurs situations bien troubles ont été étudiées par les régulateurs notamment des situations de conflit d’intérêt puisque la banque peut aussi y traiter pour son compte (Goldman, Barclays, …).

Ces centimes grattés, génèrent à la fin des profits qui se chiffrent en milliards. Cet argent, c’est vous qui le donnez avec vos ordres. Les champions toutes catégories sont la société Citadel Securities, appartenant à l’énorme hedge fund américain du même nom et la société Virtu. Ces sociétés génèrent plusieurs millions de dollars par jour avec leurs algorithmes haute fréquence.

Mais qui leur donnent vos ordres ? D’autres brokers qui se trouvent entre vous et ces sociétés. La plus connu est Robinhood aux US et Trade Republic en Europe. C’est ce qu’on appelle le ‘payment for order flow’ (PFOF) : Robinhood vend vos ordres à Citadel pour que Citadel ait le droit de les voir en premier et de les ‘exécuter’. C’est le business model de Robinhood. Vous ne payez pas de frais de transaction d’où l’impression de gratuité, mais vous ‘donnez’ de l’argent à Citadel sur l’exécution et qui en retour paie Robinhood. Cette pratique est largement critiquée depuis des années car elle traduit l’inégalité de traitement entre les investisseurs, ces sociétés ayant construit leur business sur le dos des particuliers. On comprend mieux aussi pourquoi ces plateformes usent de tous les stratagèmes pour que ses utilisateurs passent des ordres le plus souvent possible.

Ces derniers jours c’est l’émoi outre-Atlantique parmi les grandes entreprises du trading haute-fréquence. En effet, Gary Gensler, un des patrons de la SEC, l’organisme de régulation des marchés américains, a annoncé vouloir en finir avec ces pratiques, estimant qu’elles créaient des situations de conflit d’intérêt et limitaient la concurrence pour les ordres des particuliers. 

Son idée principale, parmi un train de propositions, est d’obliger les brokers à envoyer les ordres des particuliers dans des enchères dans lesquelles les entreprises de trading seraient en concurrence directe pour les exécuter. Si un tel mécanisme était mis en place, c’en est fini du front-running et des entreprises de trading au millionième de seconde permettant de ‘rentabiliser’ les ordres des particuliers. Si le PFOF était interdit et le mécanisme d’enchères mis en place, la valeur de Robinhood qui a basé son business model là-dessus vaudrait virtuellement 0.

En Europe, l’ESMA, l’organisme de supervision européen, s’inquiète de ces pratiques et a demandé en juin 2021 aux organismes nationaux de faire du PFOF une priorité dans leur contrôle et d’en évaluer l’impact réel sur le respect des exigences de la réglementation en matière de meilleure exécution, de conflit d’intérêt et de transparences sur les coûts.

Gesner va-t-il réussir ? Ce n’est pas sûr et j’attends de voir pour le croire. Ces sociétés ont de puissants lobbies et déversent beaucoup d’argent sur Washington. Elles font des contrepropositions et lutteront de toutes leurs forces pour maintenir ce qui les fait vivre. Doug Cifu, milliardaire patron de Virtu tente de réagir et désespérément de maintenir le statu quo : « La SEC devrait discuter avec les acteurs du marché avant de proposer des changements importants non testés qui nuiraient à la qualité d’exécution des investisseurs de détail et réduiraient l’accès des investisseurs particuliers à nos marchés des capitaux »

*Front-running : avant d’exécuter votre ordre au marché, la société passe un ordre avant le vôtre qui peut faire décaler le marché. Votre ordre sera alors exécuté sur un cours moins favorable, la différence tombant dans la poche de celui qui utilise cette technique.